Sérials Killers

Albert DeSalvo (Article Non-censuré)

Albert DeSalvo

Nom : Albert De Salvo
Surnom : “L’Etrangleur de Boston”, mais aussi “Le Mesureur” et “L’Homme en Vert”
Né le : 3 septembre 1931, à Chelsea (Massachusetts), près de Boston, Etats-Unis
Mort le : 25 novembre 1973 (poignardé dans sa cellule) à la prison de Walpole, Massachusetts.

Entre le 14 juin 1962 et le 4 janvier 1964, treize femmes de la région de Boston (Massachusetts) furent étranglées chez elles. La police et une partie de la population pensaient que plusieurs tueurs étaient à l’oeuvre. Les habitants imaginaient qu’un monstre bestial ou un fou dangereux échappé d’un asile, errait dans les rues. Mais Albert DeSalvo était un ancien militaire, bon père de famille et mari aimant, ouvrier travailleur, vivant dans une banlieue calme. Il commit de très nombreux crimes contre des femmes, à cause, selon lui, d’une “énorme pulsion sexuelle”…

Informations personnelles

Albert DeSalvo à gauche

Les parents d’Albert DeSalvo, Frank et Charlotte, avaient cinq autres enfants. Sa mère, issue d’une famille américaine respectable, se maria à l’âge de 15 ans. Son père, pompier, plombier puis agriculteur, était un alcoolique particulièrement violent qui battait régulièrement son épouse et ses enfants. Il fut arrêté d’innombrables fois pour des actes de violence, sexuelle ou non. Il vendit même Albert et ses deux sœurs à un fermier du Maine pour 9 dollars et leur mère mit des mois à les retrouver.

La famille était pauvre et l’argent de Frank DeSalvo était dépensé en alcool. Les enfants eurent souvent faim et leur vie ne devenait agréable que lorsque leur père était en prison.

Albert DeSalvo devint un délinquant à un tout jeune âge : son père lui apprit à voler dès 5 ans ! Frank DeSalvo amenait également des prostituées à la maison et voulait que ses enfants les regardent faire. Le sexe était omniprésent dans leur petit appartement.
DeSalvo eut ses premières relations sexuelles à l’âge de 8 ans, avec des filles et des femmes, mais aussi des homosexuels qui le payaient. Déjà à cet âge, il ressentait des pulsions sexuelles incontrôlables, des besoins inextinguibles de sexe, encore et encore.

Charlotte DeSalvo n’était pas une mère très aimante. Elle sortait souvent le soir et s’occupait mal de ses enfants. Albert DeSalvo tenait pourtant beaucoup à elle et, devenu adulte, il lui rendit très souvent visite.

Durant son adolescence, Albert DeSalvo alterna les périodes sans aucun problème et les délits divers. Il fut arrêté plusieurs fois pour “coups et blessures”. Il ne fit partie d’aucun gang bien que cela fut “la mode” et admit par la suite qu’il n’avait alors par assez confiance en lui pour se joindre à un groupe et “jouer les durs”.
Il tirait sur les chats avec un arc et des flèches. «Juste avant de décocher une flèche, quand je les tenais dans ma ligne de mire, je ressentais une telle colère en moi que je crois que j’aurais pu les déchiqueter de mes mains. J’ignore pourquoi mais à cet instant précis, je les haïssais et pourtant ces chats ne m’avaient rien fait».
A 12 ans, il fut envoyé dans une maison de redressement pour un cambriolage mais, selon lui, il en ressortit “encore pire qu’avant” : «En réalité, j’y ai appris toutes les perversions sexuelles possibles et imaginables».

Une fois libéré, il recommença ses cambriolages, mais sans être arrêté cette fois. Il ressentait une excitation sexuelle en entrant chez les gens, principalement dans les chambres des femmes.

Il fugua plus d’une fois pour tenter d’éviter les violences de son père. Ce dernier abandonna finalement sa famille en 1939.
Sa mère se remaria en 1945.

L’appétit et les capacités sexuelles de DeSalvo le rendirent célèbre à l’adolescence. Il ne parvenait pas à penser à autre chose qu’au sexe et avait d’énormes besoins. Selon lui, il passa l’été 1948 sur la plage et eut de nombreuses conquêtes féminines, souvent des étudiantes de Boston.
Il lui arriva souvent d’entrer par effraction chez des femmes, mais il “n’osait” pas encore s’imposer à elles.

Il s’engagea dans l’Armée le 3 septembre 1948, à 17 ans, en mentant sur son âge, avec l’envie de “devenir le meilleur soldat possible”. L’Armée lui offrit les notions qui lui avaient manqué : la stabilité, le respect, la discipline et une situation stable.

Albert DeSalvo lors d’un bal

Il se conduisit impeccablement. Il aimait le respect qu’on lui montrait et, pour lui permettre de se hausser encore plus haut dans l’estime des autres, il prit part aux épreuves sportives de l’Armée. Athlétique et solide, il se découvrit une passion (et du talent) pour la boxe. Il s’entraîna avec tant de rigueur qu’il devint deux fois champion des poids moyens de l’Armée en Europe.
En 1949, il fut affecté en Allemagne pour 5 ans (occupée par les Alliés après la Seconde Guerre Mondiale). Selon ses dires, il y continua son vagabondage sexuel, offrant ses “services” aux épouses délaissées des officiers et aux Allemandes, durant des nuits entières. Il affirma même que certaines lui donnaient leurs bijoux pour qu’il vienne les satisfaire… Vérité ou affabulation vantarde ?
Il lui arriva également de pénétrer par effraction dans des habitations ou des magasins et d’y voler des objets.

À Francfort, alors qu’il avait 22 ans, il rencontra celle qui allait devenir son épouse, Irmgard Beck, une belle jeune femme brune issue d’une famille luthérienne stricte et respectée. Il cessa de s’intéresser aux autres femmes.
Il fut promu au rang de “Specialist E-5” (sergent en charge d’un groupe technique), mais fut dégradé en 1950 pour un refus d’obéissance et retomba au rang de simple soldat. Il allait par la suite regagner ses galons.

DeSalvo et son épouse Irmgard

Irmgard et lui se marièrent puis rentrèrent aux États-Unis en 1954 et il fut affecté à Fort Dix (New Jersey).

Comme il “s’ennuyait”, il passait beaucoup de temps à se promener en ville, dans sa voiture. Il recommença à s’introduire dans des maisons et des appartements.

En décembre 1954, DeSalvo, vêtu de son uniforme, frappa à la porte d’une maison. Il lui affirma à la jeune femme qui vint lui ouvrir avoir vu un rôdeur près de chez elle. Apeurée, elle l’autorisa à rentrer pour qu’il vérifie que tout allait bien, mais elle devint suspicieuse lorsque DeSalvo lui demanda quand son mari allait rentrer. Elle s’enferma dans sa chambre. DeSalvo s’en alla mais la femme eut le temps de noter le numéro de sa plaque d’immatriculation.
La police interrogea DeSalvo quelques jours jours plus tard, mais il affirma s’être promené pour chercher une maison à louer, et avoir seulement voulu aider cette femme. Sa gentillesse était décidément mal payée de retour…

Le 3 janvier 1955, une jeune mère alla faire rapidement des courses et laissa seule sa fille de neuf ans et ses deux petits frères. Lorsqu’elle revint, sa fille lui expliqua qu’un « monsieur en uniforme » qui cherchait «une chambre à louer» lui avait caressé la poitrine et le sexe. La mère appela la police du New Jersey, qui se souvint du soldat DeSalvo “cherchant une chambre à louer”, qu’ils avaient interrogé quelques jours plus tôt.

Il fut emmené au poste de police. La petite fille et ses frères l’identifièrent facilement. Il fut accusé “d’abus charnel sur enfant” mais ne fut pas jugé : la mère de la fillette ne voulait pas que sa fille soit traumatisée par un procès et retira sa plainte.

DeSalvo et sa fille Ruby

La même année, le premier enfant du couple naquit, une fille prénommée Judy. Elle avait un handicap physique, une malformation pelvienne congénitale. Ce problème eut un fort impact sur la vie de famille du couple car son épouse était terrifiée à l’idée que leur second enfant pourrait être lui aussi affligé d’un handicap physique. Elle fit tout ce qu’elle put pour éviter d’avoir des rapports sexuels avec DeSalvo qui, de son côté, avec un appétit sexuel anormalement développé et lui demandait de faire l’amour jusqu’à 5 ou 6 fois dans la même journée.
Irmgard repoussa DeSalvo encore plus que d’habitude.

Sur la suggestion de son épouse, DeSalvo prit une décision lourde de conséquences : en 1956, il quitta l’armée (avec de bons états de service et son grade de sergent retrouvé).
Le couple retourna alors dans la ville natale de DeSalvo, Chelsea, puis s’installa à Malden, dans la banlieue de Boston.
Entre 1956 et 1960, DeSalvo fut arrêté plusieurs fois pour être entré par effraction dans des habitations. À chaque fois, il ne reçut que des peines avec sursis et n’alla jamais en prison.

DeSalvo et son Michael

En 1960, le deuxième enfant du couple naquit, un garçon nommé Michael, sans aucun handicap physique.

Malgré ses démêlés avec la loi, Albert DeSalvo parvint toujours à trouver et garder un emploi. Après avoir travaillé dans une entreprise de caoutchouc, il trouva un travail dans un chantier naval comme ouvrier de construction.
Il essaya d’avoir une vie normale, d’être un bon père et un époux tendre, de faire vivre sa famille sans problème… Mais il ne pouvait résister à ses pulsions. Ces pulsions le forçaient à “faire des choses que je savais être mal”.
La plupart des gens qui le connaissaient l’appréciaient. Son patron le considérait comme un bon père de famille, convenable et poli, et un bon travailleur. Il était dévoué à ses enfants, qu’il adorait, et traitait son épouse avec tendresse, bien que sa froideur (sexuelle) le frustra au plus haut point.

Début 1960, une série d’intrusions à connotation sexuelle eut lieu dans la région de Cambridge, ville voisine de Boston. Un homme brun de 25-30 ans frappait aux portes des appartements et si une jeune femme répondait, il se présentait comme étant un “Monsieur Johnson”, travaillant pour une agence de mannequins. Il affirmait que le nom de la jeune femme lui avait été donné par une personne qu’elle connaissait et qui pensait qu’elle ferait un très joli mannequin. Il ajoutait qu’elle n’aurait pas à poser nue mais, au pire, en maillot de bain. Elle serait payée 40$ de l’heure. Il avait été envoyé pour prendre ses mesures et savoir si elle était intéressée.
Apparemment, nombreuses furent les femmes, flattées, qui lui permirent d’entrer chez elles, de les mesurer, voir même de les toucher. C’était un jeune homme charmant au sourire enjôleur.
Lorsqu’il avait terminé, il expliquait que “Mme Lewis de l’agence” les recontacteraient si les mesures étaient satisfaisantes. Aucune ne fut jamais rappelée et l’agence n’existait pas. Certaines femmes, apeurées ou frustrées, contactèrent la police.

Le 17 mars 1961, la police de Cambridge arrêta un homme qui tentait de pénétrer par effraction dans une maison. Il admit avoir tenté d’entrer puis avoua finalement être “Le Mesureur”.

C’était Albert DeSalvo, qui avait alors 29 ans. Les policiers découvrirent qu’il avait déjà été arrêté, plusieurs fois, pour avoir pénétré dans des appartements et avoir parfois volé l’argent qu’il y avait trouvé. Lorsque les policiers lui demandèrent pourquoi il avait agi ainsi, il répondit : «Je ne suis pas très beau, je ne suis pas éduqué mais j’ai été capable de rouler les gens de la ‘haute’. C’était toutes des filles éduquées et je n’ai jamais rien eu dans ma vie mais je les ai mises dans ma poche».

Le juge trouva DeSalvo sympathique et prit en compte le fait qu’il nourrissait une famille : il ne le condamna qu’à 18 mois de détention. Il ordonna également qu’il soit examiné durant un séjour dans un établissement psychiatrique.
Les médecins affirmèrent que DeSalvo avait besoin d’une aide psychologique : il était vantard et aimait raconter ses “exploits” du “Mesureur”, il cherchait constamment à attirer l’attention, mais surtout “sa personnalité présentait des traits schizoïdes”, il manifestait des sentiments agressifs, il montrait “des troubles de la personnalité avec des tendances polymorphes perverses, accentués par des fantasmes de grandeur et d’omnipotence”…
DeSalvo lui-même savait que ce qu’il faisait était mal, il savait que ses pulsions sexuelles étaient irrésistibles et voulaient en être libéré. Il voulait être « guéri ».
Mais on l’envoya en prison plutôt que dans un établissement psychiatrique. Il ne reçut aucun soin.

Grâce à sa bonne conduite, DeSalvo ne passa que 11 mois en prison et fut libéré en avril 1962.
Lorsqu’il sortit de prison, il revint chez lui avec les meilleures intentions, et notamment celle de se faire pardonner par son épouse. Mais Irmgard le rejeta totalement, affirmant qu’il était « sale et la rendait malade ».
Pour éviter le divorce, il promit à Irmgard qu’il allait à présent “se tenir à carreau”. Il trouva rapidement un nouvel emploi et se rendit parfois chez des particuliers pour réparer des chaudières…

Crimes et châtiment

Le 14 juin 1962, près de 200.000 Bostoniens avaient fêté la venue de l’astronaute Alan Shepard (premier Américain dans l’espace), dont le défilé motorisé s’acheva en fin d’après-midi.

Anna Slesers, une petite femme brune et divorcée de 56 ans, vivait au 77 Gainsborough Street depuis le 1er juin, dans un des nombreux immeubles de briques rouges où logeaient des personnes aux revenus modestes, principalement des étudiants et des retraités. Couturière aux revenus modestes, elle habitait au 3ème étage. En 1950, elle avait quitté sa Lettonie natale (annexée par les Soviétiques) avec son fils et sa fille, et s’était installée dans l’un des immeubles d’un quartier ancien de Boston, “Back Bay”.
Le soir du mardi 14 juin 1962, elle avait fini de manger et voulait prendre un bain avant que son fils, Juris, ne vienne la chercher pour se rendre à la messe de l’église lettonne. Elle mit de la musique classique et enfila son peignoir.
Juste avant 19 heures, son fils frappa à la porte mais n’obtint aucune réponse. La porte était fermée. Juris Slesers continua de frapper, s’imaginant qu’elle était peut-être en train d’écouter sa musique trop fort, voire même malade ou évanouie. Au bout d’un moment, sentant l’inquiétude monter, il donna un violent coup d’épaule dans la porte, qui s’ouvrit d’un coup.

L’appartement était plongé dans l’obscurité et seule la lumière de la cuisine était allumée. Le porte-monnaie d’Anna Slesers était ouvert et son contenu avait été partiellement répandu sur le sol. Une corbeille à papier dans la cuisine avait été fouillée et certains déchets éparpillés autour. Les tiroirs avaient été ouverts et laissés tels quels dans le salon, vidés de leur contenu. Toutefois, la propreté et l’ordre régnaient dans l’entrée et au salon.
Juris Slesers découvrit sa mère étendue devant sa salle de bain, la corde de son peignoir enroulée autour du cou. Il téléphona à la police pour leur annoncer son “suicide”.

Les enquêteurs James Mellon et John Driscoll se rendirent rapidement sur place. Anna Slesers était nue sous son peignoir et se trouvait dans une position qui exposait cette nudité de manière choquante. Elle était allongée sur le dos et son peignoir était ouvert. Sa tête était tournée vers la porte de la salle de bain, sa jambe gauche était tendue et la jambe droite était repliée sur le côté, exposant son intimité. La ceinture bleue de son peignoir avait été fortement serrée autour de son cou et un gros nœud bouffant était lacé sous son menton.
Une boîte de diapositives avait été posée à terre, dans la chambre. Le tourne-disque était toujours branché mais l’amplificateur avait été éteint. Près du corps étaient éparpillés divers objets : des allumettes, un agenda, un paquet de cigarettes et un stylo. Une montre en or et des bijoux en argent n’avaient pas été volés.

Les tiroirs chez Anna Slesers

Les policiers découvrirent rapidement qu’Anna Slesers avait été étranglée avec la ceinture de son peignoir et ne s’était pas suicidée. Elle avait subi des violences sexuelles, avec un objet. L’autopsie allait révéler qu’elle avait été violemment frappée à la tête avant d’être étranglée.
Une enquête détaillée permit d’apprendre qu’elle était très impliquée dans sa vie religieuse, qu’elle était proche de ses deux enfants, travaillait dur et adorait la musique classique. Elle était fort discrète et avait peu d’ami(e)s. Le seul homme dans sa vie était son fils.
Les enquêteurs conclurent qu’un homme était entré chez elle dans le but de la cambrioler mais en la voyant dans son peignoir, il avait été pris d’une pulsion sexuelle incontrôlable. Paniqué, il l’avait ensuite tuée pour éviter d’être reconnu et arrêté.

Ils se demandèrent néanmoins comment il avait pu pénétrer à l’intérieur de l’appartement car aucun signe d’effraction n’était visible. Madame Slesers, une femme timide et réservée, n’aurait pas ouvert à un inconnu uniquement vêtue d’un peignoir. Et puis… si l’on considérait que l’agresseur était d’abord un voleur, pourquoi n’avait-il pas emporté la montre en or et les bijoux ? Il semblait avoir examiné avec soin les affaires de sa victime plutôt qu’avoir fouillé son appartement. Mais peut-être était-il furieux de n’avoir pas trouvé plus et s’était-il vengé ?
Les enquêteurs ne trouvèrent pas la moindre empreinte et personne ne se souvint avoir vu un homme rôder dans l’immeuble.

DeSalvo allait expliquer par la suite qu’il avait pris bien des précautions pour commettre son premier meurtre : il avait mis des gants et avait garé sa voiture loin de l’immeuble, pour ne pas se faire remarquer. Il avait enlevé sa chemise tachée de sang (qu’il avait par la suite jeté dans l’océan) et avait pris un imperméable chez Anna Slesers pour cacher son torse nu. Il s’était ensuite rendu dans un magasin pour acheter une nouvelle chemise, puis était tranquillement revenu chez lui pour dîner en famille, comme si de rien n’était…

La ville de Lynn

Deux semaines plus tard, le 30 juin, DeSalvo annonça à son épouse qu’il allait travailler plus tôt. En fait, il conduisit au hasard sur les routes de la région jusqu’à ce qu’il arrive dans la ville de Lynn, où il avait “mesuré” des jeunes femmes deux ans auparavant.
Il entra dans un immeuble de la Newhall Street et frappa au hasard à la porte d’un appartement du deuxième étage. Helen Blake, une infirmière à la retraite de 65 ans, divorcée, ouvrit la porte en pyjama.

Son corps fut découvert le 2 juillet, presque nu, allongé sur le ventre dans son lit, les jambes écartées. Elle avait été étranglée avec l’un de ses bas nylon. Sa brassière avait également été nouée autour de son cou et présentait le nœud caractéristique, au-dessous du menton. Elle avait subi des violences sexuelles avec un objet, mais n’avait pas été violée. Du sperme fut trouvé sur ses cuisses.

Son appartement avait été fouillé, mais on retrouva de l’argent liquide et des bijoux, auxquels l’assassin n’avait pas touché. Il avait également tenté, sans succès, d’ouvrir une boîte en métal et avait cassé la lame de son couteau.

Le même jour, DeSalvo fit une seconde victime. Nina Nichols, 68 ans, fut assassinée dans son appartement au 1940, Commonwealth Avenue, à Boston. Nina Nichols était une physiothérapeute à la retraite, passionnée de musique classique et de photographie, qui menait une vie tranquille. Elle était divorcée depuis 23 ans et le seul homme dans sa vie était son beau-frère, le procureur Chester Steadman.

L’appartement semblait avoir été cambriolé : les tiroirs étaient ouverts, leurs contenus éparpillés sur le sol comme si une tornade était passée dans l’habitation. Toutefois, l’un des tiroirs contenait encore des pièces en argent et le porte-monnaie de Nina Nichols était plein. L’assassin n’avait pas non plus emporté son coûteux appareil photo ni sa belle montre, qu’elle portait encore au poignet. Par contre, il avait parcouru son carnet d’adresses et son courrier, et avait déchiré un album de photos dont les pages jonchaient le sol. Les enquêteurs déterminèrent finalement que rien n’avait été volé et qu’il n’y avait aucun signe d’effraction.

Nina Nichols était allongée sur le dos, sur le sol de sa chambre à coucher. Elle avait les jambes écartées, sa robe de chambre était déchirée et sa combinaison était remontée jusqu’à sa taille. Deux de ses bas nylons étaient fermement serrés autour de son cou, avec un nœud bouffant. Elle avait été agressée sexuellement avec une bouteille, avec une violence telle qu’elle saignait. Son assassin avait éjaculé sur ses cuisses. On estima qu’elle avait été assassinée vers 17h.

Le préfet de police Edmund McNamara, nommé en mai 1962, était embarrassé par ces morts : lorsque la population de Boston découvrit que deux femmes âgées avaient été assassinées le même jour, un vent de panique souffla sur la ville. Devant la similarité des meurtres, les enquêteurs avaient compris qu’ils n’avaient pas affaire à des crimes isolés.
McNamara décida d’avertir les femmes de la région de Boston et leur conseilla de fermer leurs portes et de se méfier des étrangers. Il annula tous les congés des policiers et ordonna à tous ses officiers de travailler sur ces affaires avec les enquêteurs du département Homicide. Ils commencèrent à enquêter sur tous les agresseurs sexuels connus et les malades mentaux violents libérés depuis peu. Suivant les premières indications des psychiatres, ils cherchaient un homme jeune, un malade mental en proie à un délire de persécution, quelqu’un qui avait probablement tué ces trois femmes âgées parce qu’il détestait sa propre mère. Il serait célibataire, vivrait seul avec sa mère et pourrait être homosexuel…
Ancien agent du FBI, McNamara contacta le Bureau afin qu’il offre un séminaire sur les crimes sexuels à ses 50 meilleurs enquêteurs.

Le 19 août 1962, Ida Irga, 75 ans, une veuve d’origine russe, timide et paisible, fut elle-aussi étranglée. Elle était très proche de sa sœur et de son fils.
On la découvrit deux jours plus tard dans son appartement du 7 Grove Street, dans le quartier ouest de Boston. Là non plus, son assassin n’était pas entré de force, elle l’avait laissé entrer volontairement.

Elle était couchée sur le dos, sur le sol du salon, et sa robe déchirée exposait son corps nu. Une taie d’oreiller blanche était fermement serrée autour de son cou. Ses jambes étaient écartées et ses pieds étaient attachés aux montants des deux chaises. L’un des oreillers de son lit avait été placé sous ses fesses.
C’était l’horrible parodie d’une position gynécologique, et le corps faisait face à la porte d’entrée de l’appartement, de sorte qu’on le voit immédiatement en entrant. Elle avait été étranglée manuellement. Du sang séché couvrait le haut de sa tête, sa bouche et ses oreilles. Elle avait été agressée sexuellement avec un objet.
Son appartement avait été fouillé par son assassin mais il n’avait rien emporté.

Moins de 24h après le meurtre d’Ida Irga, une infirmière de 67 ans nommée Jane Sullivan fut assassinée dans son appartement, au 435 Columbia Road, dans le quartier de Dorchester, de l’autre côté de la ville par rapport à l’appartement d’Ida Irga.

Son corps ne fut découvert que dix jours plus tard, le 30 août, par son neveu. Jane Sullivan était une catholique fervente, solitaire et fort méfiante.
Elle se tenait sur les genoux, dans sa baignoire, les pieds sur le rebord et la tête en dessous du robinet, dans une quinzaine de centimètres d’eau. Sa robe d’intérieur était relevée au niveau de ses épaules et son soutien-gorge était déchiré en deux. Elle avait été étranglée avec ses propres bas nylon, probablement dans la chambre ou le salon, où du sang avait été trouvé sur le sol. Elle avait sûrement été agressée sexuellement, mais son corps était tellement décomposé qu’il fut impossible de le déterminer avec certitude. On découvrit toutefois un manche à balai taché de sang. L’appartement n’avait presque pas été fouillé, mais le porte-monnaie de Jane Sullivan était ouvert (et plein…)

La panique s’empara de Boston. Les journaux titraient tous sur les meurtres, surnommant l’assassin “l’Étrangleur Fou”, “Le tueur du soir” ou “l’Étrangleur Fantôme”. La peur paralysa la vie quotidienne des habitants de Boston, toutes les personnes “étranges” furent soupçonnées et les postiers comme les releveurs de compteurs trouvèrent tous porte close. Les femmes achetèrent des chiens, des verrous, des œilletons et des fermetures de fenêtre, barricadèrent les issues de leur maison et cachèrent des armes sous leur lit.
La police redoubla d’efforts. On mit en place un “Groupe Tactique d’Interventions” constitué d’une cinquantaine d’hommes choisis pour leurs aptitudes au combat, au tir et leur connaissance des méthodes d’investigations scientifiques. Ils passaient la ville au peigne fin toutes les nuits.
Les enquêteurs perdirent quant à eux du temps à tenter de trouver un lien entre les victimes : la plupart aimaient la musique classique et plusieurs avaient un lien avec le milieu médical. On chercha donc l’Étrangleur dans les salles de concert ou les hôpitaux.
Des policiers et des psychiatres se réunirent pour tenter de dresser un profil précis de l’assassin. Pour la majorité des psychiatres, le tueur n’était pas un fou éructant la bave aux lèvres, mais un homme d’apparence banale, ayant un travail quotidien et bien intégré dans la vie sociale, qui avait pourtant des problèmes psychologiques.

Durant trois mois, aucun meurtre de “l’Étrangleur” n’eut lieu et l’on espéra qu’il ne frapperait jamais plus, apeuré par les efforts de la police ou ayant définitivement sombré dans la folie.
Les enquêteurs eurent le temps de vérifier les emplois du temps, faits et gestes, et antécédents de dizaines de suspects. Ils n’obtinrent malheureusement qu’une longue liste de personnes qui n’étaient pas “l’Étrangleur”.
Une autre série de meurtres allait pourtant débuter, différente de la première, et qui allait mettre à mal la théorie du tueur “haïssant sa mère”.

Le 5 décembre 1962 (jour de l’anniversaire de mariage de DeSalvo), Sophie Clark, une jolie Afro-Américaine de 21 ans, étudiante au Carnegie Institute for Medical Associates fut découverte sans vie par ses deux colocataires. Elles partageaient un appartement au 315 Huntington Avenue, à quelques pâtés de maisons de celui d’Anna Slesers, depuis le mois de septembre.

Sophie Clark était allongée sur le dos, nue, les jambes écartées, dans le salon. Elle avait été étranglée par deux de ses bas nylon, serrés très fermement sur son cou et qui formaient l’habituel nœud bouffant. Sa combinaison blanche avait elle aussi été nouée autour de son cou. Son soutien-gorge arraché reposait à côté de son corps. Elle avait été violée et du sperme fut retrouvé sur le tapis, entre ses jambes.

L’assassin avait fouillé l’appartement, ouvert les tiroirs et avait examiné sa collection de disques de musique classique ainsi qu’un album photo.
La porte d’entrée n’avait pas été forcée. Sophie Clark veillait beaucoup à sa sécurité et avait insisté auprès de ses colocataires pour qu’elles achètent un second verrou. Elle faisait très attention et demandait toujours qui était derrière la porte avant de l’ouvrir. Pourtant, son assassin était parvenu à la convaincre de le laisser entrer.
Sophie Clark écrivait une lettre à son fiancé lorsqu’elle avait été interrompue, probablement par le tueur. Elle se montrait très réservée envers le sexe opposé. Elle devait obtenir son diplôme en février 1963 et envisageait de retourner dans le New Jersey pour y épouser son fiancé.

Malgré ses points communs avec les meurtres des “dames âgées”, il existait des différences avec ce dernier meurtre. Sophie Clark était jeune, noire et ne vivait pas seule. De plus, pour la première fois, le tueur avait lui-même violé sa victime.

Lorsque la police interrogea les voisins, Mme Marcella Lulka mentionna que vers 14h20, un homme avait frappé à sa porte et lui avait affirmé que le propriétaire de l’immeuble l’envoyait jeter un œil aux peintures des appartements. Elle l’avait laissé entrer. Il avait ensuite ajouté qu’il allait devoir travailler sur le plafond de sa salle de bain… et l’avait complimentée sur son physique : “Avez-vous déjà pensé à devenir mannequin ?”. Son jeune enfant l’avait rejointe et elle avait alors mis un doigt sur sa bouche : “Mon époux dort dans la pièce à côté”.
L’homme avait alors répondu qu’il devait visiter d’autres appartements et était parti sans demander son reste.
Elle le décrivit comme un jeune homme entre 25 et 30 ans, de taille moyenne, avec des cheveux « couleur de miel », portant une veste sombre et un pantalon vert.
“L’Étrangleur” allait par la suite décrire cette rencontre… mais il avait des cheveux noirs de jais.

Trois semaines plus tard, Patricia Bissette, 23 ans, secrétaire dans une société d’ingénierie de Boston, fut découverte assassinée le lundi 31 décembre 1962, après que son employeur se soit inquiété de son absence. Il s’était rendu à son appartement ce matin-là pour l’emmener au travail, mais elle n’avait pas ouvert la porte lorsqu’il avait sonné. Il était revenu un peu plus tard, angoissé, a son appartement du 515 Park Drive, dans le même quartier où avaient vécu Anna Slesers et Sophie Clark. Le gardien de l’immeuble grimpa jusqu’à la fenêtre et entra.

Il découvrit Patricia Bissette dans son lit, la couverture remontée jusqu’à son menton comme si elle dormait. Il tira la couverture et découvrit plusieurs bas nylons serrés autour du cou de la jeune femme, entrelacés avec son chemisier, avec le nœud caractéristique. Elle avait été violée (elle était enceinte d’un mois).
Son assassin n’avait pas fouillé son appartement et la serrure avait été crochetée.

La police fut déconcertée par ces crimes. La jeunesse des deux nouvelles victimes semblait anéantir la première analyse des psychiatres (“la haine de la mère”). Les enquêteurs songèrent qu’il existait peut-être deux étrangleurs à Boston ou alors qu’un homme avait copié la façon de faire de l’Étrangleur.

Les Bostoniens, eux, pensèrent que les meurtres avaient été commis par le même homme et l’opinion publique se déchaîna contre l’apparente inefficacité de la police. Le préfet de police McNamara répliqua en annonçant que la police avait contrôlé plus de 5000 personnes coupables d’agressions sexuelles, interrogé des milliers de personnes et questionné plus de 400 suspects.
Durant deux mois, aucun autre meurtre de l’Étrangleur n’eut lieu. La police en profita pour analyser tous les meurtres depuis le début. Les enquêteurs interrogèrent toutes les personnes que les victimes avaient pu connaître et se rendirent dans tous les endroits qu’elles avaient pu fréquenter.

Sans résultats.

Le 8 mai 1963, Beverly Samans, une musicothérapeute de 23 ans, manqua son cours de chant à l’Église Unitaire de Boston. Son fiancé se rendit à son appartement du 4 University Road et y entra grâce à la clé qu’elle lui avait donnée.
Dès qu’il ouvrit la porte, il la vit allongée sur le divan convertible, les jambes écartées, attachées aux supports du divan. Ses mains étaient attachées dans son dos par l’une de ses écharpes. Deux bas nylons et une écharpe blanche noués ensemble étaient serrés autour de son cou, avec le nœud caractéristique.
Il semblait que Beverly Samans avait été étranglée mais en fait, sa mort était due à quatre coups de couteau portés à sa gorge.
On l’avait frappée 22 fois en tout, 17 coups ayant été portés sur son sein gauche, sans doute alors qu’elle était déjà morte. Les liens autour de son cou étaient “décoratifs” et n’étaient pas assez serrés pour l’étrangler.
Le couteau ensanglanté qui l’avait frappée fut découvert dans la cuisine, sans aucune empreinte. Le médecin légiste releva également des traces de morsures sur ses seins, son ventre et ses cuisses. Il estima qu’elle avait été assassinée 48 heures plus tôt, le 6 mai.
Son appartement était en grand désordre, des coussins étaient éparpillés partout, son sac à main était ouvert, des livres et des vêtements avaient été jetés sur le plancher…

Mezzo soprano, Beverly Samans avait l’intention de devenir chanteuse d’opéra et voulait tenter sa chance au Metropolitan Opera de New York cette année. La police émit l’hypothèse selon laquelle son entraînement au chant aurait musclé son cou. Le tueur aurait alors eu beaucoup de mal à l’étrangler et aurait fini par la poignarder… En fait, il s’avéra qu’elle avait supplié son agresseur de ne pas la violer et lui avait répété qu’il était mauvais, qu’il était « pire qu’un animal ». Pris de rage, l’Étrangleur l’avait poignardée pour qu’elle cesse de lui parler.

La police commençait vraiment à désespérer.
De nouveau, aucun meurtre n’eut lieu durant l’été 1963. Juin, juillet et août passèrent sans qu’un meurtre ne puisse être attribué à l’Étrangleur et l’on espéra de nouveau qu’il s’était arrêté. Les femmes recommencèrent à sortir le soir et à prendre moins de précautions.

Mais le 8 septembre 1963, à Salem, Evelyn Corbin, une employée de 58 ans qui paraissait facilement 10 ans de moins, fut découverte assassinée au 224 Lafayette Street.
Elle s’apprêtait à se rendre à l’église lorsque l’Étrangleur avait frappé à sa porte. Elle était allongée sur son lit, sa chemise de nuit déchirée, et avait été étranglée avec deux de ses bas nylons, qui formaient le nœud habituel. Sa culotte avait été enfoncée dans sa bouche. Un bas était noué autour de sa cheville gauche. Elle avait été violée et mordue sur tout le corps.

Son assassin avait peu fouillé son appartement. Il n’avait ouvert qu’un tiroir et avait jeté, près du lit, des bas, le sac à main de sa victime et un soutien-gorge.

Le 25 novembre, les Bostoniens pleuraient toujours la mort du président John F. Kennedy, assassiné trois jours plus tôt, lorsque l’on découvrit le corps d’une nouvelle victime.

Le lendemain du décès du président, alors que la plupart des Américains étaient restés collés devant leur télévision, Joann Graff avait été violée et assassinée dans son appartement de la ville de Lawrence, au 54 Essex Street. Cette jeune dessinatrice industrielle de 23 ans, très prude et religieuse, était morte dans l’après-midi.
Sa blouse était remontée jusqu’au cou. Deux bas nylons et la jambe d’un justaucorps étaient attachés autour de son cou, chacun avec un nœud différent. Sa culotte était à terre et son soutien-gorge était déchiré. Le médecin légiste reconnut des marques de morsure sur sa poitrine.

L’appartement de Joann Graff avait été peu fouillé par son assassin, à peine un tiroir ouvert.

A 15h25, l’étudiant qui vivait dans l’appartement au-dessus d’elle, Ken Rowe, avait discerné des bruits de pas dans le hall. Lorsqu’il avait entendu quelqu’un frapper à la porte de l’appartement en face de lui, il avait ouvert sa porte, pour découvrir un homme d’environ 27-28 ans, avec des cheveux épais, en vêtements de travail verts. Il lui avait demandé si “Joan” vivait là, en se trompant sur la prononciation de son prénom.
L’étudiant lui avait répondu que Joann vivait dans l’appartement au-dessus. Un moment après, il avait entendu la porte de la jeune femme s’ouvrir et se fermer. Il avait pensé que Joann connaissait le jeune homme et l’avait laissé entrer dans son appartement.
Dix minutes plus tard, une amie avait téléphoné à Joann mais cette dernière n’avait pas répondu.
Le décès de Joann Graff ne suscita que peu de réactions, car toute l’attention des habitants de Boston (dont J.F. Kennedy était originaire) était focalisée sur la mort de leur président.

Un peu plus d’un mois plus tard, le 4 janvier 1964, deux jeunes femmes revinrent à leur appartement au 44A Charles Street, dans le quartier de Back Bay, après le travail. Elles découvrirent avec horreur que leur amie, Mary Sullivan, une secrétaire de 19 ans, qui n’avait emménagé dans cet appartement que depuis 3 jours, avait été assassinée.
Elle avait été attachée et étranglée manuellement. Un bas était fermement serré autour de son cou. Une écharpe en soie rose formait un gros nœud sous son menton. Et une autre écharpe à fleurs rose et blanche était nouée par-dessus. Le tueur avait posé contre ses pieds une carte de vœux souhaitant une “Bonne et heureuse année”.

Elle était assise sur son lit, adossée contre la tête du lit, un oreiller sous les fesses, les genoux relevés et écartés. Sa blouse était remontée jusqu’aux épaules. Un liquide poisseux, qui se révéla être du sperme, coulait de sa bouche sur ses seins. Le manche d’un balai avait été enfoncé en elle.

L’appartement avait été fouillé, les tiroirs ouverts et leur contenu était éparpillé à terre. Des coussins et des chaises étaient renversés dans le salon. Du linge et des serviettes jonchaient le sol de la salle de bain.

Ce meurtre, peut-être le plus choquant de tous, provoqua la colère, d’une ampleur incomparable, des Bostoniens envers leur police. Les enquêteurs étaient pourtant déconcertés par l’attitude des femmes de Boston : malgré la panique provoquée par les meurtres du tueur, elles continuaient de le laisser entrer dans leur appartement, parce qu’elles le connaissaient ou parce qu’il parvenait à les convaincre de laisser un étranger pénétrer chez elles.

Le 17 janvier 1964, lors d’une réunion au sommet, le Procureur Général de l’état du Massachusetts, Edward Brooke, annonça qu’il s’investissait totalement dans cette affaire et en faisait sa toute première priorité.
Brooke, le seul procureur général noir du pays, était un homme déterminé. Le risque politique était énorme pour lui, car il risquait sa carrière si l’Étrangleur n’était pas appréhendé.
Il décida de créer un groupe spécial qui coordonnerait les activités des différents départements de police : l’Étrangleur avait commis ses meurtres dans cinq juridictions différentes… qui ne partageaient que rarement leurs informations. Une équipe allait être assignée en permanence sur cette affaire et uniquement sur cette affaire. De plus, l’équipe spéciale de Brook devrait calmer les journaux. Deux reporters féminines du “Record American” avaient révélé les erreurs du Département de Police de Boston, l’accusant “d’inefficacité extrême”.

Pour diriger cette équipe appelée “Division spéciale en recherche et détection du crime”, Brooke choisit un ami proche, son assistant, John S. Bottomly. Pour McNamara, le désaveu était total.

Les Meurtres commis à Boston

Le choix de Bottomly était controversé, car il manquait d’expérience en loi criminelle. Toutefois, ses supporters affirmèrent qu’il était honnête et très enthousiaste. Mais McNamara ne l’appréciait guère et nombreux étaient ceux qui le considéraient comme un arriviste sans scrupule. Il allait cependant se révéler être un organisateur très efficace.

L’équipe de Bottomly était formée du détective Phillip DiNatale, de la police de Boston, de l’officier spécial James Mellon, de l’officier de police métropolitaine Stephen Delaney et du Lieutenant de la police d’État Andrew Tuney. Le Docteur Donald Kenefick dirigeait un comité consultatif médico-psychiatrique formé de plusieurs experts, chargé de dresser un profil psychologique du ou des tueurs.

Le “Bureau de l’Étrangleur”, comme les Bostoniens appelèrent la division spéciale, devait avant tout rassembler, organiser et assimiler plus de 37.000 pages de rapports des divers départements de police ayant été impliqués dans l’affaire, concernant – entre autres – les 2300 suspects interrogés.

Les meurtres commis autour de Boston

Le gouverneur Peabody offrit une récompense de 10 000$ à quiconque fournirait une information menant à l’arrestation et la condamnation de la personne ayant commis les meurtres des onze victimes “officielles” de l’Étrangleur.

Sur une suggestion de Bottomly (le mysticisme était à la mode, à l’époque), Brooke consentit à impliquer dans l’enquête Peter Hurkos, un célèbre médium hollandais. Un industriel anonyme prit en charge les services et les frais d’Hurkos. Ce dernier était probablement doué de certains dons de voyance, mais il avait plusieurs fois été pris en flagrant délit de mensonge ou s’était trompé dans ses prédictions.

Peter Hurkos

Le médium identifia un suspect, un homme de 57 ans que le Bureau de l’Étrangleur avait soupçonné, un vendeur de chaussures ayant des problèmes mentaux et un pouce abîmé.
Chez lui, on découvrit des indices intéressants, et notamment des dessins d’appartements marqués de croix, pouvant symboliser l’emplacement où avaient été découvertes certaines victimes. Suivant une loi du Massachusetts, il fut placé dans un établissement de soins psychiatriques pour y être examiné et interrogé.
Hurkos quitta discrètement Boston le 5 février 1964. La collaboration d’Hurkos avec la police s’acheva brutalement trois jours plus tard, lorsqu’il fut accusé d’avoir usurpé l’identité d’un agent du FBI en décembre 1963 et arrêté. Il fût rapidement relâché et lavé de tous soupçons, mais la crédibilité du Bureau de l’Étrangleur souffrit de la présence et des allégations d’Hurkos : on soupçonna un coup monté par McNamara, des associations de droits civils accusèrent Brooke et Bottomly d’avoir bafoué les droits du vendeur de chaussures en le plaçant d’office dans un institut psychiatrique, etc.

Aucune preuve ne put relier le vendeur aux meurtres ni aux victimes, et il fut relâché 10 jours plus tard car il n’était pas considéré comme dangereux pour la société.

Les experts du comité médico-psychiatrique du Docteur Donald Kenefick voyaient des différences importantes entre les meurtres des femmes âgées et ceux des jeunes femmes. Ils pensaient qu’il était peu probable qu’une seule et même personne ait commis tous les meurtres et qu’il devait exister deux étrangleurs ou des “copieurs”.
Le Docteur Kenefick expliqua que, selon son équipe, le tueur de dames âgées était un homme de 30 à 40 ans. “Il est plaisant, propre, ordonné et ponctuel. Il travaille de ses mains, ou a un passe-temps impliquant des ouvrages manuels. Il est sûrement célibataire, séparé ou divorcé. Il ne donne pas l’impression d’être un fou. Il n’a aucun ami proche de l’un ou l’autre sexe. Il est sûrement originaire d’Europe du Nord”.
Les psychiatres pensaient que l’Étrangleur avait tué uniquement les “vieilles dames” et que les “jeunes femmes” avaient été assassinées par un autre Étrangleur, ou alors par des hommes appartenant probablement à leur entourage, sans doute des “déséquilibrés, membres de la communauté homosexuelle”.
Cette explication venait de la croyance des psychiatres selon laquelle les homosexuels détestent tous les femmes et que l’homosexualité pouvait alors expliquer les postures dégradantes dans lesquelles on avait retrouvé les victimes.

Le Dr Brussel

Un seul psychiatre – mais pas n’importe lequel – offrit une opinion différente lorsque Bottomly l’invita à l’une de leurs réunions, le 29 avril 1964 : le célèbre Docteur James Brussels, un psychiatre pionnier du profiling dont les profils psychologiques avaient permis d’arrêter le “fou à la bombe de New York” et le “Tueur de Noël”.
Brussels pensait qu’il n’existait qu’un seul et même tueur. Selon lui, l’Étrangleur était un schizophrène paranoïde. C’était un homme musclé de taille moyenne, âgé d’environ 30 ans, glabre, à la chevelure épaisse et soignée, d’origine méditerranéenne (sans doute italienne ou espagnole) et célibataire.

[cocorico_message type=”classique”]”Cet homme est athlétique puisqu’il étrangle ses victimes en l’espace de quelques secondes. Je situe son âge vers les trente ans, à cause de son état paranoïde. Je ne pense pas qu’il soit plus âgé, étant donné que sa puissance musculaire et ses pulsions sexuelles ne seraient pas aussi fortes.
C’est, avec certitude, un « homme moyen », dans toute l’acceptation du terme. Sa taille est moyenne, sinon les témoins auraient remarqué un géant ou un nain. Mais les gens ne font pas attention à lui : c’est un homme invisible. Il se fond dans son environnement.
Comme il ne laisse jamais d’empreintes ni tout autre indice, on peut imaginer quelqu’un de propre et de net dans son apparence extérieure : il est rasé de près, les ongles nettoyés, portant des vêtements discrets. Ses cheveux sont toujours bien coiffés. J’ai même l’intuition qu’ils sont plus que simplement coiffés. Cet homme est obsédé par ses relations avec le sexe opposé : il veut que les femmes soient attirées par lui.
Étant donné que le supplice du garrot est en faveur dans l’Europe méridionale, l’Étrangleur peut être de souche italienne ou espagnole. Je ne pense pas qu’il soit marié.
Et je ne crois pas qu’il se fera prendre à la suite d’une enquête traditionnelle. A mon avis, Mary Sullivan a été sa dernière victime. D’une certaine manière, il s’est « guéri » de ses difficultés sexuelles les plus évidentes, mais pas de ses autres problèmes émotionnels. À partir de maintenant, il trouvera une satisfaction sexuelle avec des femmes conscientes, de façon plus ou moins normale.
Et il paraît possible que cet homme raconte volontiers son histoire. Même s’il n’en parle qu’à une seule personne, il éprouvera le besoin de parler de son « succès ». C’est un homme qui a été désespérément troublé par ses problèmes sexuels et, maintenant, qu’il les a surmontés, il se peut qu’il ait envie de le dire à d’autres personnes.”[/cocorico_message]

Le comité accueillit froidement l’opinion du Docteur Brussel et émit les plus grandes réserves sur ses déductions. Quelques mois plus tard, les experts allaient tomber de haut, car les déclarations du Docteur Brussel allaient se révéler dignes de la divination.

La police était découragée et pensait avoir peu de chance de jamais trouver l’Étrangleur. Un seul soulagement notable : il n’y avait plus eu aucun meurtre de l’Étrangleur depuis un moment. Les enquêteurs continuaient d’interroger des suspects, des agresseurs sexuels pour la plupart, avec l’espoir d’arrêter l’Étrangleur avant qu’il ne recommence.

En mars 1964 commença une série d’agressions et de viols dans le Massachusetts, le Connecticut, le New Hampshire et Rhode Island. 25 plaintes furent déposées en moins de huit mois, mais l’agresseur fit certainement bien plus de victimes.
Il était surnommé “L’homme en Vert” car il portait des vêtements de travail de cette couleur et se présentait comme un ouvrier chargé d’effectuer des réparations. Propre et très poli, il s’excusait souvent de ses actes auprès de ses victimes et s’en allait même parfois sans les toucher. Plusieurs fois, il pénétra par effraction dans les appartements ou les maisons. Les victimes étaient souvent des femmes d’âge mûr, parfois attachées avec leurs bas ou leur combinaison. Toutes étaient menacées d’un couteau.

Le 2 novembre 1964, presque trois ans après avoir été libéré de prison, Albert DeSalvo fut de nouveau arrêté. Cette fois, il fut inculpé d’un crime bien plus sérieux qu’un cambriolage ou un “mesurage”.

Le 27 octobre de la même année, il était entré dans l’habitation d’une jeune femme mariée depuis peu, après que son époux ait quitté l’appartement pour aller travailler. Elle faisait la grasse matinée dans son lit et avait été réveillée par la présence d’un homme dans sa chambre. Il avait sorti un couteau et lui avait dit : “Ne fais aucun bruit ou je te tue”. Il avait enfoncé sa culotte dans sa bouche et l’avait attachée sur son lit avec les pyjamas de son mari, les jambes écartées.
Il l’avait embrassée et caressée, puis lui avait demandé comment sortir de chez elle. “Tu vas rester silencieuse pendant 10 minutes”. Finalement, il lui avait présenté ses excuses et était parti.
La jeune mariée avait pu voir son visage et permit à la police d’établir un portrait-robot… qui rappela aux policiers de Cambridge le visage du “Mesureur”, DeSalvo. Ils l’arrêtèrent et le conduisirent au commissariat, où la jeune femme le reconnut immédiatement.

DeSalvo fut relâché sous caution le 6 novembre mais sa photo fut diffusée sur le réseau télétype de la police. Les policiers reçurent alors des appels du Connecticut, du New Hampshire et de Rhode Island concernant “l’Homme en Vert”.
La police arrêta de nouveau DeSalvo et ses victimes vinrent l’identifier. Il était mortifié que son épouse le voit avec des menottes, mais celle-ci ne fut pas surprise. Albert DeSalvo était obsédé par le sexe. Aucune femme ne pouvait jamais lui en donner assez. “L’Homme en Vert” avait ainsi agressé quatre femmes le 6 mai 1964 entre 9h et 14h, dans différentes villes du Connecticut.

L’épouse de DeSalvo lui demanda d’être honnête, d’admettre la vérité et de ne rien cacher. Il avoua alors être entré dans près de 400 appartements et avoir commis plusieurs viols. Il avait agressé plus de 300 femmes dans quatre états différents. Il est difficile de savoir si ces chiffres sont ou non exagérés, mais nombre d’agressions n’ont pas été déclarées à la police et les femmes qui ont eu le courage de le faire n’ont parfois pas admis tout ce que DeSalvo leur avait fait.
“Si vous connaissiez toute l’histoire, vous ne la croiriez pas” dit DeSalvo à l’un des policiers. “Ca va venir. Vous allez trouver”. Il répéta ensuite cette allusion au juge Pecce, qui n’y porta aucune attention.

Peu avant de passer en jugement, en novembre 1964, il annonça à son avocat, Jon Asgiersson, qu’il voulait lui “raconter quelque chose d’énorme”. Il lui affirma être l’Étrangleur de Boston mais son avocat ne le prit pas au sérieux.

L’hôpital Bridgewater

DeSalvo fut envoyé en observation à l’hôpital d’état de Bridgewater, qui n’a d’hôpital que le nom : c’est une prison abritant 2000 détenus et qui n’accueille pas de personnel spécialisé. En dehors du directeur, “il n’y avait pas un seul médecin psychiatre authentique dans l’hôpital et il n’y avait pas non plus un seul psychologue ayant son doctorat” (selon le Docteur Brussels).
En décembre 1964, le Dr Ames Robey, directeur médical de Bridgewater (et seul véritable psychiatre de l’établissement), envoya un rapport au juge indiquant que DeSalvo souffrait “d’un désordre de la personnalité sociopathique, d’une déviation sexuelle, avec des tendances modérées à la schizophrénie et à la dépression”. Il le considérait toutefois comme “compétent” pour suivre son procès et DeSalvo fut transféré à la prison d’East Cambridge. Le Dr Robey ne s’intéressa pas vraiment aux insinuations de DeSalvo concernant ses “autres crimes” et les “autres choses”.

Le 13 janvier, un ami d’Albert DeSalvo, Edward Keaney, avec lequel il avait effectué son service militaire en Allemagne, lui rendit visite. Il eut du mal à le reconnaître. “On voyait tout de suite que quelque chose ne tournait pas rond chez lui”. DeSalvo lui annonça : “Même si on me condamne à cinquante fois cette peine (la perpétuité), ce n’est rien par rapport à ce que j’ai fait. Je serai de loin l’homme le plus infâme du Massachusetts. Et ma famille devra changer de nom”. En quittant la prison, Keaney avait pensé que son ami était peut-être l’Étrangleur de Boston.

Le lendemain, DeSalvo sembla souffrir d’hallucinations auditives et visuelles : il voyait son épouse lui parler dans sa cellule. Le 18 janvier, devant l’aggravation de son état mental, on le renvoya à Bridgewater. Là, le Dr Robey indiqua qu’il avait à présent une “réaction schizophrénique très aiguë, décompensation accompagnée de déviation sexuelle (schizophrénie pseudo-névrotique) avec des tendances hystériques prédominantes (sexuellement)”.

Le 25 janvier 1965, Irmgard, l’épouse de DeSalvo, quitta le domicile conjugal pour s’installer chez un membre de sa famille, dans le Colorado.
Le 4 février 1965, par décision de la Cour (suivant une loi du Massachusetts), il fut décidé qu’Albert DeSalvo resterait à Bridgewater jusqu’à nouvel ordre afin d’être examiné (et guéri…) par les psychiatres.
Quelques mois plus tard, son épouse allait retourner en Allemagne avec ses deux enfants et divorcer le 1er décembre 1966.

George Nassar

A Bridgewater, DeSalvo se retrouva dans la même aile que George Nassar, un criminel intelligent et dangereux qui avait été inculpé du meurtre de sang-froid du propriétaire d’une station-service.
Nassar était craint par les autres détenus et DeSalvo, pour donner le change, se vanta de ses “exploits” sexuels auprès de Nassar, mais ce dernier ne fut guère impressionné.
DeSalvo raconta les mêmes histoires à d’autres détenus, insinuant parfois qu’il avait fait “plus”, qu’il avait “tué quelques jeunes filles”.
Nassar finit par croire les allégations de DeSalvo et en parla à son avocat, F. Lee Bailey.

F. Lee Bailey

Le 4 mars 1965, devant l’insistance de Nassar et du Docteur Robey, Bailey se rendit à Bridgewater. Il discuta avec DeSalvo et enregistra leur discussion grâce à un dictaphone. Albert DeSalvo avoua les meurtres des onze victimes “officielles” mais aussi ceux de Mary Brown, à Lawrence, en 1963, et d’une “dame âgée” qui était morte d’une crise cardiaque alors qu’il l’agressait, en 1962.

DeSalvo lui expliqua calmement comment il avait pu échapper à la police et comment il agissait avec ses victimes. Bailey compris que DeSalvo, qui n’était pas physiquement menaçant, s’était toujours comporté comme un jeune homme sympathique et courtois – jusqu’à ce qu’il se décide à étrangler sa victime – alors que la police avait cherché une bête fauve.
Bailey, intrigué et désirant épargner la vie de DeSalvo s’il était bien l’Étrangleur, pensa qu’il pouvait exister un moyen de lui éviter la peine capitale.
Il appela le lieutenant Donovan et lui annonça qu’il avait un suspect intéressant et qu’il devait lui poser des questions particulières afin d’établir si oui ou non il était bien l’Étrangleur.

De leur côté, les enquêteurs du “Bureau de l’Étrangleur” avaient décidé d’interroger DeSalvo : son dossier leur avait été transmis après son arrestation pour les crimes de “l’Homme en Vert” et il leur semblait être “une personne d’intérêt”.
Bailey revint discuter avec DeSalvo, son dictaphone à la main, le 6 mars 1965. DeSalvo lui expliqua que le détective DiNatale, du Bureau de l’Étrangleur, était venu relever ses empreintes digitales la veille, “mais je n’ai jamais laissé aucune empreinte”. Bailey comprit qu’il devait se presser s’il voulait sauver la tête de son client. Il lui posa donc les questions proposées par Donovan, dont seul l’Étrangleur pouvait connaître les réponses.
DeSalvo répondit juste.

Bailey expliqua plus tard : “Je suis devenu certain que l’homme assis en face de moi dans cette pièce sombre était bien l’Étrangleur de Boston. Quiconque a l’habitude des interrogatoires apprend à reconnaître la différence entre un homme qui parle de ce qu’il a vécu et d’un homme qui raconte une histoire qu’il a inventée ou qu’on lui a racontée. DeSalvo parlait d’événements qu’il avait vécus. Il n’essayait pas de se souvenir de mots qu’il aurait appris par cœur, il se souvenait des scènes, il les revivait. Il pouvait se rappeler du moindre petit détail, la couleur d’un tapis, une photographie, l’état d’un meuble. Comme s’il regardait une vidéo à nouveau, il décrivait ce qui était arrivé, généralement avec autant d’impassibilité que s’il racontait ses courses au supermarché”.

Il répéta également ses aveux de deux meurtres que ni la police ni les médias n’avaient attribué à l’Étrangleur : celui de la “dame âgée”, Mary Mullen, 85 ans, morte dans ses bras d’une crise cardiaque alors qu’il l’agressait, le 28 juin 1962 dans Commonwealth Avenue ; et celui de Mary Brown, 69 ans, battue à mort et étranglée dans son appartement de Lawrence le 9 mars 1963. Il décrivit ces deux meurtres avec autant de détails que les autres.
D’ailleurs, il se souvenait de tant de détails qu’il permit à la police de vérifier la véracité de ses affirmations. F. Lee Bailey appela le lieutenant Donovan et son collègue, le lieutenant Sherry. Ils se rendirent dans son bureau et, grâce au dictaphone, ils écoutèrent DeSalvo décrire le meurtre de Sophie Clark. Il s’était souvenu qu’elle avait ses règles, qu’il avait renversé une chaise, qu’il avait marché sur un paquet de cigarettes d’une marque précise… Sherry vérifia dans le dossier : tout était vrai, même la marque des cigarettes.

John Bottomly

Bailey discuta avec DeSalvo, le convainquit de coopérer avec la police et de passer au détecteur de mensonges. Il contacta le préfet McNamara et le Docteur Ames Robey, de l’hôpital de Bridgewater. Ils ne pouvaient trop en faire sans impliquer John Bottomly. De plus, Bailey voulait éviter la peine de mort à son client mais le procureur général Brooke voulait garder le contrôle de l’enquête. Brooke voulait se présenter aux élections sénatoriales et la résolution de cette affaire lui ferait une excellente publicité.
Bottomly accepta à contrecœur la proposition de F. Lee Bailey : il pourrait discuter avec DeSalvo et lui poser toutes les questions qu’il voudrait… mais les réponses ne pourraient pas être utilisées par l’accusation lors d’un éventuel procès.

Les entretiens commencèrent le 17 août 1965. Bottomly interrogea DeSalvo en détail, en présence de Bailey, jusqu’au 29 septembre 1965. Il en résultat plus de 50 heures d’enregistrement et 2000 pages de transcription. Alors que chaque détail des aveux de DeSalvo était vérifié, Bottomly, Brooke et Bailey tentaient de trouver un arrangement quant au sort du jeune homme.

Bientôt, le doute quant à sa culpabilité ne fut plus permis :
Il savait qu’il y avait un calepin sous le lit de Beverly Samans.
Il savait que des petites cloches de Noël étaient attachées sur la porte de l’appartement de Patricia Bissette et que cette porte s’ouvrait vers l’extérieur. Il avait dessiné un plan exact et précis de son appartement (et des douze autres).
Il décrivit correctement le nœud particulier employé par l’Étrangleur. Il avait bien pris un imperméable chez Anna Slesers pour couvrir sa chemise couverte de sang.
Les enquêteurs apprirent qu’Anna Slesers avait acheté deux manteaux identiques et en avait donné un à une amie. Ils montrèrent ce dernier à DeSalvo, avec 14 autres imperméables, et il reconnut le bon.
En fait, DeSalvo ne fit qu’une ou deux erreurs parmi les dizaines de détails précis qu’il donna.

Il décrivit également une agression envers une jeune femme blonde, à Boston, dans le quartier de Jamaica Plain, en mai 1962, avant le premier meurtre de l’Étrangleur. Il était parvenu à la convaincre de le laisser entrer dans son appartement, elle s’était retournée et il avait passé son bras autour de son cou, dans son dos, pour l’étrangler. Mais il avait soudainement vu son reflet dans un grand miroir pendu sur le mur. Se voyant en train de tuer, il avait été horrifié par lui-même. Il avait relâché la jeune femme et s’était mis à pleurer. Il lui avait présenté des excuses et l’avait supplié de ne pas appeler la police. Il avait menti en affirmant que si sa mère l’apprenait, elle ne lui donnerait plus d’argent et il ne pourrait pas finir ses études. La jeune femme n’avait pas porté plainte.
Grâce aux détails fournis par DeSalvo, DiNatale parvint pourtant à la retrouver : elle se souvenait de tout.

Finalement, les membres du “Bureau de l’Étrangleur” parvinrent à la même conclusion que F. Lee Bailey : DeSalvo était bien “l’Étrangleur de Boston”.

Maintenant, il fallait décider quoi faire de lui. En dépit de l’exactitude du récit de DeSalvo et de son désir d’avouer ses crimes, la police ne possédait aucune preuve directe contre lui. L’Étrangleur n’avait pas laissé d’empreinte et les analyses d’ADN n’existaient pas encore à l’époque.
Bailey, Brooke et Bottomly parvinrent à s’accorder : DeSalvo risquait, de toute manière, de passer le restant de ses jours en prison à cause de ses crimes de “l’Homme en Vert”. S’il s’avérait que DeSalvo était déclaré apte à être jugé, il serait soumis à un examen psychiatrique afin de déterminer son état mental au moment des meurtres. Si DeSalvo était reconnu irresponsable, il ferait des aveux officiels, utilisables devant la cour, mais plaiderait non coupable pour être placé dans un établissement psychiatrique. S’il était reconnu sain d’esprit, il n’y aurait pas d’aveux officiels et toutes les poursuites contre lui cesseraient.
DeSalvo, sûr de son immunité, accepta la proposition.

Le 26 avril 1966, on déclara qu’il était apte à être jugé.
Toutefois, suite à de récentes décisions de la Cour Suprême, l’accusation (mettant à profit la démission de Bottomly le 7 avril 1966 suite à un différent avec le procureur général Brooke concernant “l’affaire DeSalvo”) refusa d’admettre que DeSalvo avoue ses crimes en plaidant l’irresponsabilité.

Bailey décida à son tour de faire volte-face et affirma qu’il allait faire juger DeSalvo pour les crimes commis par “l’Homme en Vert” : les psychiatres pourraient alors attester de sa démence, sans pour autant que ce diagnostic soit directement relié aux crimes de l’Étrangleur ! DeSalvo serait alors déclaré dément sans encourir la peine de mort.
C’était donc – fait sans précédent – à la défense de prouver la culpabilité de l’accusé.

Le 9 janvier 1967, Albert DeSalvo fut jugé à Cambridge pour les crimes de “l’Homme en Vert” (agressions sexuelles et vols à main armée). Bailey choisit d’invoquer la démence de son client. Il présenta pour cela deux psychiatres comme témoins principaux : le Dr Robert Ross Mezer, de Boston, et le Dr James Brussel. Pour eux, DeSalvo était un schizophrène paranoïde et les deux spécialistes s’efforcèrent d’intégrer les meurtres de l’Étrangleur à son passé psychiatrique. Selon Bailey, lorsque le jury disposerait de tous les éléments se rapportant aux meurtres, il reconnaîtrait la démence de DeSalvo, même s’il n’était pas jugé pour les crimes de l’Étrangleur.

L’accusation affirma quant à elle que DeSalvo était un psychopathe qui feignait les symptômes d’une maladie mentale dans l’espoir d’être placé dans un établissement psychiatrique. Les jurés notèrent avec attention que DeSalvo pourrait alors être libéré quelques années plus tard…

Bailey tenta de convaincre le jury qu’il serait utile de placer DeSalvo dans un établissement psychiatrique, afin qu’il y soit étudié pour permettre une meilleure approche de ce type de meurtre à l’avenir. Selon lui, étudier ce qui avait poussé DeSalvo à commettre ces crimes pouvait permettre de “détecter” les problèmes chez les futurs tueurs avant même qu’ils n’agissent.

Les jurés ne furent pas sensibles à cet argument. Le 18 janvier, ils déclarèrent DeSalvo coupable. Bailey expliqua alors que DeSalvo avait demandé à être emprisonné à vie : “Il veut que la société soit protégée de ses crimes”. DeSalvo reçut cette peine et fut admis – à son grand désespoir – à l’hôpital de Bridgewater, en attendant d’être transféré dans une prison de haute sécurité.

DeSalvo arrêté après son évasion

Le 24 février 1967, il s’échappa de l’hôpital en compagnie de deux autres détenus. On retrouva ces deux derniers 36 heures plus tard, dans un bar de la banlieue voisine. Deux heures plus tard, DeSalvo entra dans une boutique de Lynn d’où il appela Lee Bailey pour se livrer. Il avait laissé une lettre sur le lit de sa cellule, dans laquelle il déclarait s’être enfui parce qu’on ne lui apportait pas l’aide psychiatrique dont il avait besoin. Le psychiatre James Brussel était convaincu de la sincérité de DeSalvo qui, d’après lui, voulait qu’on l’aide à comprendre pourquoi il avait tué.

En réponse, DeSalvo fut immédiatement transféré à la prison de haute sécurité de Walpole, une véritable forteresse.
Il ne reçut jamais aucun soin et ne fut jamais ni examiné ou soigné par des psychiatres, ni interrogé par des policiers, dans le but de mieux cerner ses motivations et sa façon de faire.
Les États-Unis connurent malheureusement d’autres cas de tueurs en série (de plus en plus, en fait) et ne purent utiliser les connaissances qu’ils auraient pu acquérir en interrogeant DeSalvo. (Il fallut attendre les années 1980 pour que le FBI lance un programme d’interviews avec les tueurs en série, qui se révéla fort utile par la suite).

Le 25 novembre 1973, on retrouva Albert DeSalvo mort dans sa cellule. Il avait été poignardé à plusieurs reprises dans le cœur. Le directeur de la prison évoqua une bagarre et un trafic de drogue auquel DeSalvo aurait été mêlé.

On ne retrouva jamais son assassin.

Des doutes ?

En octobre 2000, les familles de Mary Sullivan et d’Albert DeSalvo ont décidé de s’unir pour prouver l’innocence d’Albert DeSalvo et découvrir l’identité du “véritable Étrangleur de Boston”.
En octobre 2001, le corps de Mary Sullivan a été exhumé afin d’y prélever “des cheveux, du sperme et de la peau”. Le corps d’Albert DeSalvo a lui aussi été exhumé, pour permettre les mêmes prélèvements. James Starrs, un professeur de sciences forensiques à l’Université George Washington, dirigeait l’équipe de scientifiques qui a effectué ces prélèvements.
Le 13 décembre 2001, il a annoncé aux médias que les preuves ADN prélevées sur le corps de Mary Sullivan ne correspondaient pas à l’ADN de DeSalvo. Il a appuyé sur le fait que cette “preuve” n’innocentait DeSalvo que du viol de Mary Sullivan. Mais Casey Sherman, le neveu de Mary Sullivan, a vite sauté à la conclusion selon laquelle DeSalvo n’était pas l’assassin de sa tante et qu’il ne pouvait donc pas être “l’Étrangleur de Boston”.

Sauf que…

– Dans leur rapport, les experts ont expliqué avoir eu bien des problèmes à obtenir de l’ADN à partir des prélèvements effectués sur le corps de Mary Sullivan et n’avoir souvent pu faire que des comparaisons partielles. Après tout ce temps, il ne restait de son corps qu’un squelette et son corps a été embaumé avant d’être mis en terre. Les experts ont découvert deux profils ADN différents. L’un appartient sûrement à un Asiatique et l’autre à un “Caucasien”. Et ils ont admis qu’ils ne pouvaient jurer que l’un de ces ADN était celui de l’assassin de Mary Sullivan. En effet, personne ne sait si le corps de Mary Sullivan a été touché par ses colocataires, par les policiers, par le médecin légiste, par les employés des pompes funèbres ou qui que ce soit d’autre.

– Les sous-vêtements dans lesquels Mary Sullivan a été enterrée (sur lesquels du matériel a été découvert) lui ont été passés par une ou des personnes inconnues. Les contaminations d’ADN ont dû être nombreuses… L’aurait-on d’ailleurs mise en terre dans des sous-vêtements souillés par son assassin ?

– Les experts sont contrariés du fait que du “matériel” ADN n’ait pas été prélevé, à l’époque, sur toutes les personnes qui auraient pu avoir touché le corps de Mary Sullivan.
Moi aussi.
Cela fait beaucoup de questions sans réponses… Et sans ces réponses, il serait outrancier d’assurer sans ambages que DeSalvo n’est pas l’Étrangleur de Boston.

Susan Kelly dans son ouvrage “The Boston Stranglers: The Public Conviction of Albert DeSalvo and the True Story of Eleven Shocking Murders” explique qu’elle est persuadée de l’innocence de DeSalvo. La plupart de ses arguments ont été repris dans l’ouvrage de Casey Sherman, “A Rose for Mary”.

Aucune preuve physique ne reliait DeSalvo aux meurtres.
Si les analyses d’ADN avaient pu être aussi bien maîtrisées à l’époque qu’elles le sont aujourd’hui, les traces de sperme retrouvées sur certains lieux des crimes auraient pu établir avec certitude l’innocence ou la culpabilité de DeSalvo.

Selon Susan Kelly, aucun témoin ne pouvait se souvenir avoir vu DeSalvo autour des lieux du crime, malgré son “nez proéminent”.
C’est un argument un peu léger : DeSalvo ressemblait à Monsieur tout le monde (la trentaine, pas très grand, ni beau, ni laid, sans barbe ni moustache…) et n’a pas dû marquer les esprits de celles et ceux qui auraient pu le voir.
L’étudiant qui vivait au-dessus de l’appartement de Joann Graff et qui avait parlé à “un étranger” cherchant après elle, ne reconnut pas DeSalvo sur une photo qu’on lui montra (alors que DeSalvo expliqua avoir parlé à ce jeune homme).
Marcella Lulka (qui vivait dans le même immeuble que Sophie Clark) avait rencontré un jeune homme aux cheveux châtains clairs (“pale honey-colored hair “) qui disait venir pour repeindre les appartements. DeSalvo raconta lui-même cet épisode, par la suite, mais il a avait des cheveux noirs de jais et non châtains clairs.
Les témoignages semblent donc peu fiables… Un visage banal ne marque pas.

Bottomly emmena Marcella Lulka et Melle Gertrude Gruen en prison pour qu’elles puissent secrètement observer DeSalvo… et George Nassar. Gertrude Gruen, une Allemande de 30 ans, était considérée comme la seule femme ayant survécu à une rencontre avec l’Étrangleur : le 18 février 1963, il l’avait agressée chez elle, elle s’était débattue, l’avait mordu et il s’était enfui (DeSalvo a avoué et décrit cette agression, mais Gertrude Gruen se disait INCAPABLE de se souvenir du visage de son agresseur).
Aucune des deux femmes ne reconnut DeSalvo. Gertrude Gruen expliqua que George Nassar lui disait quelque chose… sans en être sûre. Marcella Lulka assura que Nassar (qui semblait nettement plus menaçant – physiquement – que DeSalvo) était le jeune homme auquel elle avait parlé.
Pourtant, Nassar était très brun, lui aussi, et non « châtain clair ». Susan Kelly (qui n’indique pas que DeSalvo a raconté sa rencontre avec Mme Lulka) demande : “N’aurait-il pas pu s’être teint les cheveux lorsqu’elle l’avait vu ?”.
Mais DeSalvo aussi aurait pu le faire.

Comment DeSalvo aurait-il pu se souvenir de tant de détails concernant ses victimes et leur appartement s’il n’avait pas été l’Étrangleur ?
Il possédait une extraordinaire mémoire, une “mémoire photographique” qui lui permettait de prendre une photographie mentale des appartements qu’il avait “visité” et de s’en souvenir, par la suite, comme s’il regardait cette photographie.

Albert DeSalvo aurait pu apprendre tout ce qu’il savait des meurtres grâce aux descriptions détaillées des journaux d’époque.
Aucun journal n’a donné de descriptions vraiment détaillées des crimes, des positions exactes des victimes, des emplacements et de la décoration de chacune des pièces des appartements, des objets trouvés à tel ou tel endroit, des paroles échangées, des vêtements (genre, coupe, couleurs) des victimes, des témoins croisés dans les couloirs,… etc. DeSalvo, lui, l’a fait.

DeSalvo aurait visité les appartements des victimes lors de ses vols et non lors de ses meurtres.
Mais aucune n’avait déclaré avoir été cambriolée…

George Nassar aurait pu être le tueur et aurait donné les informations à DeSalvo pour qu’il les répète.
Nassar aurait donc eu, lui aussi, une incroyable mémoire : ce n’était pas le cas.
De plus, DeSalvo n’a pas attendu la venue de Nassar à Bridgewater pour parler des meurtres et de son éventuelle culpabilité. Il en a parlé à son avocat, au juge, au docteur Robey, à des détenus et des gardiens et à son ami Edward Keaney. DeSalvo était un homme méfiant : pourquoi aurait-il cru Nassar, alors qu’il savait qu’il était un criminel endurci et sans scrupule ?
Nassar, de son côté, aurait pu dénoncer DeSalvo directement à la police afin de toucher la récompense, mais il a discrètement contacté son avocat. Nassar n’a d’ailleurs jamais demandé à toucher le moindre cent de la récompense. Et les enquêteurs n’ont jamais trouvé la moindre preuve physique reliant Nassar aux meurtres de l’Étrangleur.

Susan Kelly rappelle que les experts de l’époque pensaient qu’il existait deux étrangleurs, un pour les dames âgées et un pour les jeunes femmes.
Mais elle “oublie” l’analyse étonnamment correcte du Docteur James Brussel, qui s’est avérée exacte sur TOUS les points sauf un (DeSalvo était marié et non célibataire).

Pour conclure :
Le 19 juillet 2013, Dan Conley, District Attorney du comté de Suffolk, a annoncé que de nouvelles expertises ADN relient Albert DeSalvo au meurtre de Mary Sullivan. L’analyse ADN montre une concordance à 99,9% entre l’ADN d’Albert DeSalvo, exhumé pour cette occasion, et du sperme retrouvé sur la scène du crime de Mary Sullivan, et conservé jusqu’à nos jours.

Victimes

Durant près d’un an, entre 1960 et 1961, en tant que “Mesureur”, Albert DeSalvo se rend coupable d’attouchements sexuels et de cambriolages.

DeSalvo agresse une jeune femme blonde d’environ 25 ans dans son appartement, dans le quartier de Jamaica Plain, à Boston. Il tente de l’étrangler dans la salle de bains, mais voit son reflet dans le miroir. Il retire son bras et se jette aux pieds de la jeune femme pour la supplier de ne pas appeler la police. Elle le croit sincèrement désolé et le laisse partir. Il déguerpit et elle ne portera pas plainte…

Anna Slesers (56 ans)
Étranglée avec la ceinture de son peignoir et agressée sexuellement avec un objet le 14 juin 1962, à Boston, dans son appartement du 77 Gainsborough Street, quartier de “Back Bay”.
Retrouvée allongée sur le dos, près de la salle de bains.

Mary Mullen (85 ans)
Morte d’une crise cardiaque le 28 juin 1962, alors que DeSalvo tentait de l’étrangler, à Boston, dans son appartement du 1435 Commonwealth Avenue.
Retrouvée allongée sur son canapé.

Nina Nichols (68 ans)
Étranglée avec ses bas nylons et agressée sexuellement avec un objet le 30 juin 1962, à Boston, dans son appartement du 1940 Commonwealth Avenue.
Retrouvée allongée sur le dos, sur le sol de sa chambre.

Helen Blake (65 ans)
Étranglée avec un bas nylon et agressée sexuellement avec un objet le 30 juin 1962, à Lynn, dans son appartement du 73 Newhall Street.
Retrouvée allongée sur le ventre, sur son lit.

Ida Irga (75 ans)
Étranglée manuellement et agressée sexuellement avec un objet le 19 août 1962, à Boston, dans son appartement du 7 Grove Street.
Retrouvée allongée sur le dos, les pieds attachés à deux chaises, dans son salon.

Jane Sullivan (67 ans)
Étranglée avec ses bas nylons et agressée sexuellement avec un objet le 20 août 1962, à Boston, dans son appartement du 435 Columbia Road.
Retrouvée agenouillée dans sa baignoire, la tête dans l’eau.

Pause de trois mois, puis…

Sophie Clark (21 ans)
Violée et étranglée avec ses bas nylons le 5 décembre 1962, à Boston, dans son appartement du 315 Huntington Avenue, quartier de “Back Bay”.
Retrouvée allongée sur le dos, sur le sol de son salon.

Patricia Bissette (23 ans)
Violée et étranglée avec ses bas nylons le 30 décembre 1962, à Boston, dans son appartement du 515 Park Drive.
Retrouvée allongée dans son lit, couverte par sa couverture jusqu’au menton.

Gertrude Gruen (28 ans)
Agressée et presque étranglée par l’Étrangleur le 18 février 1963. Mais, grande et forte, elle parvient à se débattre, à le mordre, et il s’enfuit.
Malheureusement, elle ne se souvient pas de son visage.

Mary Brown (69 ans)
Battue à mort avec un tuyau de cuivre et étranglée le 9 mars 1963, à Lawrence, dans son appartement du 319 Park Avenue.
Retrouvée allongée sur le dos dans le hall de son appartement.

Beverly Samans (23 ans)
Violée et poignardée le 6 mai 1963, à Cambridge, dans son appartement du 4 University Road.
Retrouvée les mains attachées derrière le dos, allongée sur le divan convertible de son salon.

Evelyn Corbin (58 ans, mais paraissant plus jeune)
Violée et étranglée avec ses bas nylons le 8 septembre 1963, à Salem, dans son appartement du 224 Lafayette Street.
Retrouvée allongée sur le dos dans son lit, la jambe gauche pendante.

Joanne Graff (23 ans)
Violée et étranglée avec ses bas nylons le 23 novembre 1963, à Lawrence, dans son appartement du 54 Essex Street.
Retrouvée allongée sur le dos dans son lit, la jambe droite pendante.

Mary Sullivan (19 ans)
Violée et étranglée manuellement le 4 janvier 1964, à Boston, dans son appartement du 44A Charles Street, quartier de “Back Bay”.
Retrouvée assise sur son lit, appuyée contre la tête de lit.

De mars à fin octobre 1964, “l’Homme en Vert” viole entre 25 et 300 femmes dans le Massaschusetts, le New Hampshire, le Connecticut et Rhode Island.

Mode opératoire

DeSalvo choisissait ses victimes au hasard. Il se promenait dans les quartiers étudiants ou ceux habités majoritairement par des personnes du 3ème âge, où les immeubles et les appartements se ressemblent. Puis, il repérait sur les sonnettes les noms féminins et appuyait. Lorsqu’on lui ouvrait… il en profitait, tout simplement. Ensuite, il tentait de trouver une femme seule dans son appartement.
Les dames âgées vivaient seules et les femmes jeunes avaient souvent des colocataires : les étudiantes préfèrent partager les frais du loyer.

DeSalvo s’en prenait à des victimes qui vivaient toutes dans des quartiers de classe moyenne, dans des appartements peu coûteux qui nécessitaient souvent des réparations. Les victimes étaient donc heureuses et peu surprises qu’un “réparateur” se présente à elles pour faire quelques menus travaux.
DeSalvo se présentait comme un ouvrier envoyé par le propriétaire pour refaire la plomberie ou repeindre les plafonds ou… ce qui lui venait à l’esprit lorsqu’il jetait un oeil par la porte entre ouverte. Il était charmant et faisait semblant d’être pressé : les femmes finissaient presque toujours par le laisser entrer, trop heureuses que quelqu’un vienne enfin remettre à neuf leur appartement parfois miteux.

DeSalvo s’en prenait à ses victimes lorsqu’elles lui tournaient le dos. Il ressentait cela comme un rejet de leur part, ce qui faisait “exploser (sa) tête” et le rendait “fou de rage”. Il les attrapait alors par surprise, nouant son bras autour de leur cou et serrant fermement. La carotide étant bloquée, les femmes perdaient rapidement connaissance.

Avec les dames âgées, il se livrait à des attouchements sexuels et les agressait avec un objet.
Il violait les jeunes femmes.

Il étranglait ses victimes avec leurs bas ou, plus rarement, avec ses propres mains. Il nouait ensuite les bas, et parfois d’autres vêtements, autour de leur cou, avec un noeud bouffant bien particulier.

Il les laissait souvent nues, dans des postures grotesques et humiliantes, choquantes pour celles et ceux qui découvraient les corps.

Puis, il fouillait l’appartement, qu’il laissait souvent en désordre. Non pas pour voler quelque objet, ce qu’il ne fit jamais (juste 20$ chez Anna Slesers), mais pour s’immiscer dans la vie intime de ses victimes, les humilier à nouveau dans leur intimité, se les approprier.

Motivations

Le père de DeSalvo était un homme alcoolique et violent qui battait son épouse, une femme soumise, et ses enfants. DeSalvo, comme beaucoup de tueurs en série, a vécu les premières années de sa vie dans la violence et l’absence de tendresse. Son père les faisait vivre dans une débauche sexuelle, il voulait les “déniaiser” le plus jeune possible…
Il était fortement attaché à sa mère, même s’il trouvait qu’elle ne s’était guère occupée de lui et qu’elle n’avait pas su le protéger des violences paternelles.

DeSalvo a grandi en devenant totalement obsédé par le sexe. Il subissait des pulsions sexuelles parfois incontrôlables, qui le poussaient à faire l’amour à sa femme 5 fois par jour, mais aussi à violer plusieurs femmes en quelques heures.
DeSalvo était obsédé par les femmes, qu’elles soient jeunes ou âgées, jolies ou non. Que ce soit comme “Mesureur”, “Homme en Vert” ou “Étrangleur”, DeSalvo s’introduisait chez sa victime avec l’intention d’avoir un contact sexuel avec elle.

DeSalvo a répété ne pas comprendre pourquoi il avait commis ces meurtres. Il en rejetait tour à tour la responsabilité sur son épouse, sur son éducation, sur sa sexualité débordante, sur la société, parfois (rarement) sur lui-même. Il disait souvent qu’il était passé aux aveux dans l’espoir de comprendre ses pulsions et de les guérir.

La série de meurtres de l’Étrangleur commença peu après la sortie de prison de DeSalvo. À cette époque, son épouse se refusait à lui et ne voulait pas qu’il la touche. Dans le récit de DeSalvo, la pulsion criminelle survenait chaque fois que la victime lui tournait le dos. Ce geste éveillait en lui un sentiment de haine qu’il ne pouvait maîtriser.

Bien que DeSalvo ait été un obsédé sexuel, il ne semble pas que les viols aient été commis par manque de sexe. Les viols et les crimes sexuels sont d’ailleurs rarement commis par des hommes désespérément en manque de sexe. Nombreux sont les tueurs en série ayant une vie conjugale satisfaisante, voire même une ribambelle de petites amies, et qui utilisent la violence pour contraindre leurs victimes à accomplir des actes sexuels.
Le viol est utilisé comme une arme pour agresser la victime, l’humilier, et non pour obtenir une gratification sexuelle. C’est pour cette raison que certains agresseurs violent des dames âgées bien qu’on puisse les considérer comme “sensuellement non attractives”. Mais le désir et l’attraction sexuelle n’ont rien à voir avec ces viols. Ce sont uniquement des actes de haine et de violence envers les victimes.
DeSalvo a dit lui même, pour le meurtre de Patricia Bissette : “Je ne sais pas si j’ai fait ça pour le sexe, par haine ou pour une autre raison. Je crois que ça n’était pas pour l’acte sexuel, mais par haine envers elle, pas elle en particulier, mais envers une femme”.

Les explications du Docteur Brussel concernant la psychologie de l’Étrangleur semblent particulièrement clairvoyantes et exactes. Il a donné ces explications lors de l’entrevue avec le comité médico-psychiatrique le 29 avril 1964 (7 mois avant l’arrestation de DeSalvo). Les aveux de DeSalvo allaient complètement recouper les intuitions du psychiatre :

Dr Brussel : “Les différences dans l’âge des victimes résultaient “de changements survenus dans la personnalité de cet homme. Durant cette période de deux ans, il a grandi ‘psychosexuellement’, passant de l’enfance à la puberté pour devenir un adulte. (…) Les cinq premières victimes, les femmes âgées, n’ont pas de sperme dans le vagin. Elles ont été manipulées avec un objet ou manuellement. Un petit garçon ne sait pas faire l’amour avec une femme : il n’y aurait pas de pénétration. Et l’Étrangleur a agi comme un enfant. (…)
Lorsqu’il fouille l’appartement de ses victimes, ce n’est pas pour y dérober un quelconque objet de valeur. (…) Cette fouille s’apparente à celle à laquelle il soumet les corps de ses victimes : un vague désire, mais très puissant, une quête de connaissance intime, l’envie de partager des secrets avec sa mère adorée. Tout garçon normal finit par évacuer l’obsession qu’il éprouve pour sa mère. Il transfère ses désirs sexuels vers des filles de son âge. (…) Je suis convaincu que l’Étrangleur a réalisé ce cheminement en l’espace de quelques mois.

Au stade suivant, il est dans un état ressemblant à la puberté. Il tente de faire l’amour avec ses nouvelles victimes. Mais ces tentatives sont maladroites et révèlent son immaturité. À ce moment-là, ses victimes sont toutes déjà mortes ou pour le moins inconscientes. Sa pénétration du vagin n’est pas complète pour les 2 ou 3 premières jeunes femmes. Il les aime et les hait en même temps. Il les désire et les veut mortes. Cette ambiguïté est typique de la schizophrénie.

Il expose les cadavres dans des poses grotesques, en les maquillant hideusement afin de démontrer sa haine et son mépris. La première des jeunes victimes est ‘simplement’ étranglée et elle a du sperme dans le vagin. Les suivantes arborent des traces de morsures et du sperme est non seulement retrouvé dans le vagin, mais aussi sur les seins. L’homme a fourré des sous-vêtements dans la bouche des 3ème, 4ème et 5ème victimes : ce n’est pas pour les réduire au silence, car elles étaient déjà, à coup sûr, mortes ou inconscientes, mais pour les humilier d’avantage. Pour Mary Sullivan, ce fût bien pire. Le sperme est dans sa bouche. D’une manière symbolique, l’Étrangleur affirme : «Je vous jette mon sexe au visage». Et, à la place du pénis, il a violemment introduit le manche d’un balai.

Comment expliquer l’absence de lutte et les expressions sereines des victimes ? Soit il les connaissait déjà – chez les disquaires ou dans les hôpitaux ? – ou, plus probablement, il frappe à leur porte sous un prétexte plausible : pour un sondage ou une vérification de la plomberie. Peut-être ignore-t-il même qu’il va les tuer”.

Dr Brussel : “J’imagine très bien la scène : la femme l’invite à entrer et referme la porte de son appartement. Puis, elle se retourne pour lui montrer le chemin. Elle lui tourne le dos. Ceci est le symbole du rejet qui l’a troublé toute sa vie. Une rage folle s’empare de lui. Il saisit la victime à la gorge en comprimant fortement les veines jugulaires et la carotide, ce qui entraîne un évanouissement quasi immédiat. Il n’y a pas de lutte”.
DeSalvo : “Ces femmes, je ne les voyais pas, je ne regardais jamais leur visage. Toujours, je voyais d’abord leur dos, et la haine m’envahissait… Haine principalement de ma femme, la seule dont je prenais soin, qui ne voulait plus de moi. Je la haïssais tellement et, cependant, je l’aimais”.

Après avoir rencontré DeSalvo, le Dr Brussel analysa leur conversation.

A la fin des années 1950, sa femme, Irmgard, avait fini par le rejeter, lassée de ses incessantes demandes sexuelles.
“Le vieux chasseur du sexe était en lui, tapi. Il reprit sa quête. Mais ce n’était plus la chasse couronnée d’étonnants succès qui lui avait donné tant de satisfaction en Allemagne. En fait, il désirait Irmgard, et pas d’autres femmes. Pour lui, Imrgard était l’incarnation de La Femme, et La Femme le repoussait. Il se retrouvait dans la même position qu’il avait connue étant petit garçon : l’amour dont il avait besoin lui était refusé. Il commença, sexuellement, à régresser vers l’enfance”.

Selon Elliott Leyton, sociologue américain aux théories parfois discutables mais toujours passionnantes, DeSalvo aurait également tué pour des raisons socio-économiques.
DeSalvo aurait suggéré qu’il avait cessé de tuer parce que son épouse se montrait plus gentille avec lui : “Ma femme me traitait mieux. Je mettais en place, si on peut dire, un meilleur moi même, le meilleur côté de moi même. J’étais très bien au boulot, ils m’aimaient bien et j’avais eu deux augmentations”.
Il semble qu’il ait également cru que son épouse ne l’avait jamais vraiment aimé et ne se montrait gentille avec lui, dans les derniers mois, que parce qu’il ramenait un meilleur salaire.
Selon Leyton, DeSalvo aurait été tellement en colère qu’il aurait annoncé à Irmgard être l’Étrangleur de Boston. Il lui aurait dit : “Durant nos deux derniers mois ensemble, tu m’as fait me sentir pour la première fois comme un homme. Tu m’as donné l’amour que je n’aurais jamais rêvé que tu me donnes. Mais pourquoi ? Seulement parce que toi, tu avais tout ce dont tu avais toujours rêvé… tout ce que tu voulais, une belle maison, tout cet argent qui rentrait”. Cette confession aurait été sa revanche…

Citations

“Moi ? Je n’aurais jamais fait de mal à une fille. J’adore les filles”

Albert DeSalvo

“J’ai toujours eu un besoin irrésistible de sexe. Faire l’amour cinq à six fois par jour me suffisait à peine. Il m’en fallait toujours davantage. Cette envie insatiable ne me quittait jamais”

Albert DeSalvo

“L’Envie est à nouveau présente. Cette Chose ne me quitte jamais, mais je ne comprends pas pourquoi. Elle m’oblige parfois à tuer. Et je ne le sais pas à l’avance. Il n’y a jamais de raison valable, cohérente, qui me pousse au meurtre. De temps à autre, c’est un regard ou quelques paroles. Une femme qui me tourne le dos et je vois sa nuque…”

Albert DeSalvo

“J’aurais dû partir à ce moment-là. Pourquoi ne l’ai-je pas fait ? Les mots qu’elle prononce ressemblent à s’y méprendre à ceux de mon épouse, Irmgard. Je crois entendre ses paroles résonner à mes oreilles. Je la menace d’un couteau et elle tente de me dire ce que je dois ou ne dois pas faire ?! Il n’y a rien de pire pour un homme que d’entendre une femme lui ordonner d’agir de telle ou telle façons, alors que c’est lui qui a le dessus et qui détient le pouvoir”

Albert DeSalvo, au sujet du meurtre de Beverly Samans

“Lorsque je les tue, j’ai généralement une bonne raison de le faire, parce qu’elles me tournent le dos ou à cause de la pression dans ma tête”

Albert DeSalvo

“Les choses continuaient comme avant. Et le sentiment après que je sois sorti de l’appartement était comme si ça n’était jamais arrivé. Je suis sorti, j’ai descendu les escaliers et vous auriez pu dire que vous m’aviez vu, pour moi, ça n’était pas moi. Je ne peux pas l’expliquer d’une autre manière. C’est tellement irréel. J’étais là. C’était fait. Et pourtant, si vous m’aviez parlé une heure après, ou une demi-heure après, ça n’avait plus d’importance. Ça n’avait vraiment plus aucune importance”

DeSalvo, sur ses sentiments après le meurtre d’Anna Slesers

“Au moment où notre entrevue se termina, j’avais compris au moins une chose qui avait dérouté la police : pourquoi de si nombreuses femmes s’étaient montrées assez sottes pour le laisser pénétrer dans leur appartement.Rien qu’en parlant, Albert DeSalvo aurait pu faire une brèche dans un mur de briques. Si je n’avais pas su qu’il avait assassiné 13 femmes, je l’aurais trouvé absolument charmant”

Le Dr Brussel

Author

alice.peschon@gmail.com

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.